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ÉLOGE DE TURGOT.


voix du méchant par des complaisances ménagées, écarter l’homme intègre par des insinuations perfides, profiter du silence même de son mépris, obtenir enfin les récompenses, et souvent la réputation de talent ou d’honnêteté, par une conduite qui, livrée au grand jour, n’eût excité que l’indignation.

La crainte de voir Turgot retourner à Cayenne, ou influer sur le sort de ce pays, fut autant que la vengeance le motif secret de la persécution excitée contre lui ; on craignait un homme éclairé, capable de voir les abus, et incapable de les ménager. D’ailleurs, ses principes étaient connus : le seul avantage qu’on pût obtenir de cette colonie était, suivant son opinion, de multiplier les denrées réservées aux régions voisines de l’équateur et de diminuer pour l’Europe le prix de ces denrées, et le seul moyen d’obtenir cet avantage était la liberté de la culture et du commerce. Il fallait donc répandre sur toute l’étendue du territoire, et non concentrer dans quelques jardins privilégiés les plantes précieuses enlevées à l’Asie. Il n’existait qu’un seul moyen de peupler la Guyane, c’était de se rapprocher des naturels du pays, que l’orgueil et l’avarice ont éloignés ; de perfectionner, par des moyens doux, leur civilisation naissante ; de faire éclore, chez ce peuple industrieux et bon, quelque germe de l’activité européenne ; d’y établir des noirs, non pour les immoler lâchement à la barbarie de leurs maîtres, mais pour les conduire doucement à l’amour du travail, à la liberté ; d’appeler sur nos terres, par cette conduite, ces nègres hollandais qui, bravant la tyrannie, forment