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ÉLOGE DE TURGOT.


dans ce pays d’esclavage une peuplade pauvre, mais indépendante et libre ; de chercher à réunir ces noirs marrons aux Indiens pour n’en former qu’un seul peuple ; en un mot, de faire aimer aux habitants de l’Afrique et de l’Amérique ce nom européen, trop longtemps l’objet de leur haine, de leur terreur et de leur mépris. Mais combien de préjugés enracinés dans les têtes étroites des subalternes, combien de petits intérêts il faudrait combattre pour suivre un tel projet, dont l’exécution exige des hommes accoutumés à n’obéir qu’à la raison, à ne connaître de politique que la justice, à ne voir que des frères dans tous les individus de l’espèce humaine ; des hommes qui n’aient besoin que du témoignage de leur conscience et du suffrage d’un petit nombre de gens éclairés ; des hommes enfin qui aillent chercher au delà des mers, non la fortune, non l’espoir d’obtenir à leur retour un emploi mieux payé, mais la douceur d’avoir essuyé les larmes de quelques malheureux, multiplié les présents de la nature, et rétabli des peuples opprimés dans la dignité de l’espèce humaine !

Voilà le plan que Turgot avait tracé, que sa probité, ses lumières, son courage, et l’autorité qui lui avait été conférée, le rendaient capable de suivre ; et l’on ne doit point s’étonner qu’il n’ait plus été question de le renvoyer à Cayenne. Rendu à la liberté, Turgot résolut de se soustraire le reste de sa vie à la légèreté et à la corruption des hommes, et il se livra sans partage aux paisibles occupations qu’il avait toujours chéries. Il avait été nommé, en 1762,