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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/552

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ÉLOGE DE L'HÔPITAL.


le désintéressement le plus pur et la plus sainte impartialité. Et même chez des peuples où l’opinion publique aurait peu de force, combien ne serait-il pas à craindre de voir les préjugés antiques s’enraciner dans des corps toujours recrutés par eux-mêmes ; de voir ces corps ne point changer, tandis que tout change autour d’eux, et les lumières leur être étrangères, leur devenir même odieuses, parce qu’elles ne servent qu’à éclairer la distance qui est entre eux et leurs contemporains [1]!

Mais en voilà trop sans doute ; et s’il est un homme qui puisse voir trafiquer du droit de prononcer sur la vie et sur l’honneur des citoyens,

  1. En vain m’opposerait-on que la vénalité a subsisté longtemps en France sans produire ces effets funestes. C’est sans doute le plus grand éloge de ceux qui ont occupé parmi nous les charges de la magistrature : mais ce n’est pas une preuve qu’il ne soit pas dangereux que ces charges demeurent vénales. Faut-il donc attendre, pour s’opposer à un mal, qu’il ait eu le temps d’exercer tous ses ravages ? Ne devrait-on pas, au contraire, se hâter de l’extirper, tandis que des circonstances étrangères en suspendent encore les progrès, et de les prévenir, puisqu’on a pu les prévoir ?

    Vous voulez, me dira-t-on, détruire la vénalité : mais qu’y substituez-vous ? La vénalité a des inconvénients, on l’avoue ; mais ces inconvénients sont connus, on sait les évaluer ; l’habitude les a rendus supportables.

    Il ne m’appartient pas d’instruire les législateurs ; mais qu’il me soit permis de croire qu’il est d’autres moyens d’élever des hommes à la magistrature, que de mettre la magistrature à prix d’argent : qu’il me soit même permis de croire que ces moyens sont faciles. Hélas ! dans l’art de gouverner les hommes, ce n’est pas de faire le bien qui est difficile, c’est de le vouloir.