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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/610

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ÉLOGE DE PASCAL.


n’y avait pas une seule action justifiée par deux casuistes, qui, selon tous les autres, ne dût être regardée comme permise.

Cette maxime générale devenait par là un vaste champ pour le ridicule ; et en présentant cette opinion comme un système adopté par la société des jésuites, il était aisé de la faire passer pour le résultat d’un projet formé de corrompre le genre humain. Ce probabilisme, qui a causé tant de disputes, contre lequel on s’est élevé avec tant de force, et dont il était si facile d’abuser, devait peut-être son origine à cette observation très-simple et très-vraie : on ne dispute sur la légitimité des actions que lorsqu’elles sont presque indifférentes. Ainsi, en permettant ces actions, on tendait moins à détruire la morale qu’à guérir des scrupules, qui, à la vérité, ne produisent pas des crimes, mais qui empêchent d’agir et de vivre. Au reste, quand le probabilisme [1] n’aurait pas été dangereux par lui-même, il le serait

  1. Cette remarque me paraît juste : si l’on pouvait faire qu’il n’y eût pas de méchants, la morale, qui empêche de faire le mal, serait suffisante ; mais puisque l’on ne peut empêcher qu’il n’y ait des méchants, il faut que les bons agissent ; et toute morale qui tend à les faire rester dans l’inaction devient dangereuse pour la société. Voilà pourquoi une morale austère, minutieuse, qui, en détruisant les passions, détruit l’activité, me paraît mauvaise. De tous les écrivains français du siècle de Louis XIV, la Fontaine est le seul qui ait senti combien les passions pouvaient être utiles. Son instinct a devancé la philosophie du siècle suivant. Voyez la fable du Philosophe scythe et du Jardinier.