Aller au contenu

Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
616
ÉLOGE DE PASCAL.


conséquences qu’on lui reproche sont les conséquences nécessaires de sa faiblesse ou de sa vanité : les marques extérieures de respect sont toujours, en dernier ressort, un hommage que la faiblesse rend à la force ou réelle, ou imaginaire ; et moins elle est réelle, plus elle attache de prix aux marques extérieures, plus elle se distingue par des ornements ou des cérémonies. Ainsi, les magistrats de justice, les médecins, les docteurs qui doivent la vénération publique, non à leurs connaissances réelles, mais à l'opinion qu’on en a ; ainsi, toutes les puissances qui ne doivent qu’aux erreurs de l’imagination l’idée qu’on a de leurs forces, sont jalouses à l’excès de leurs étiquettes et de leurs ornements ; tandis que la milice les dédaigne, parce qu’elle sent combien sa force est réelle.

Si l’opinion, c’est-à-dire la croyance de la multitude, est la reine du monde, c’est parce qu’elle dirige la force qui réside dans le plus grand nombre : Comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice. La justice change selon les pays. Ce qui est juste sur le bord d’un fleuve, est injuste de l’autre côté : et cette instabilité est encore un effet de la faiblesse humaine ; car il fallait que la justice fut unie à la force pour conserver la paix, qui est le souverain bien. On sait facilement où est la force, l’on ignore où est la justice ; et il est plus aisé de faire dire que ce qui plaît à la force est justice, que d’assujettir la force à céder à la justice. La justice na donc été, chez les différentes nations, que l'expression de la volonté du plus fort. Ainsi, il ne