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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/633

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ÉLOGE DE PASCAL.

dans les sciences morales, où l’intérêt, les passions, l’amour de la vertu même, se mêlent à nos jugements et les corrompent, on pût attendre de la raison seule la chute des erreurs ; il croyait que, dans les sciences naturelles même, la vérité ne triomphe qu’avec une lenteur extrême, lorsque les causes morales n’en accélèrent point les progrès[1].

Ainsi Pascal, convaincu que les vérités morales ne germent que dans une terre bien préparée, crut qu’il fallait n’offrir qu’à l’homme effrayé de sa faiblesse et tourmenté des terreurs de l’avenir, ces preuves de la vérité du christianisme ; selon lui, des esprits plus calmes n’en seraient frappés que trop faiblement ; peut-être même ils négligeraient ou dédaigneraient de les examiner[2].

  1. Pascal a dit lui-même qu’il n’y a de véritables démonstrations qu’en géométrie : donc dans toutes les autres sciences, il restera toujours un fondement au doute ; donc on ne peut jamais être sûr de convaincre, toutes les fois que le doute favorisera nos passions, nos erreurs, ou seulement notre paresse. Voilà pourquoi ceux qui veulent influer sur les opinions des hommes, sur la morale, la politique, etc., doivent imiter Pascal, Montesquieu, Voltaire, et disposer ceux à qui ils présentent la vérité à se passionner pour elle. Il faut séduire les hommes pour les rendre raisonnables.
  2. Ceux qui aiment la religion doivent bien regretter que Pascal n’ait pas rempli son projet. Les nombreux apologistes que la religion chrétienne a eus dans ce siècle, comptant sur la bonté de leur cause, ont trop négligé les moyens humains. En vain un livre contient-il les raisonnements les plus forts, pour qu’il soit utile, il faut qu’on le puisse lire. Pourquoi s’obstiner à combattre les idées de tolérance, d’humanité, de bienfaisance