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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/638

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ÉLOGE DE PASCAL.


heur, peuvent lire Sénèque avec fruit : et Pascal ne peut apprendre à mourir qu’à des religieuses [1].

Pascal était bien éloigné de cette haine pour la vérité, qu’il reprochait si fortement à la vanité et à la faiblesse humaine. Il souffrait sans peine qu’on l’avertît de ses défauts et de ses fautes ; douceur, au reste, qui n’est jamais bien méritoire dans ceux qui ont de petits défauts et de grandes qualités.

C’est à lui que les jansénistes ont dû l’usage de ne jamais parler de soi qu’à la troisième personne, et de substituer partout l’on au moi ; comme s’il n’y avait pas bien plus de véritable modestie à parler de soi avec simplicité, qu’à chercher des tournures pour avoir l’air de n’en point parler. C’était surtout à la vanité des auteurs que Pascal imposait cette loi : il ne pouvait souffrir qu’on dît mon discours, mon livre; et il disait assez plaisamment à ce sujet : Que ne disent-ils notre discours, notre livre, vu que d’ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur ? Il portait dans son cœur le sentiment de l’égalité primitive de tous les hommes aux yeux de la nature et de la religion. Il ne pouvait se résoudre à exiger de ses domestiques ces services qui semblent dégrader l’homme, quand c’est la vanité qui les exige et non la faiblesse qui les demande. Il ne vou-

  1. Il y a plus de rapport entre la manière dont Pascal considérait la mort, et les idées des stoïciens, que lui-même ne le croyait peut-être : selon lui, la mort nous réunit à Jésus-Christ ; selon les stoïciens, elle nous réunit à l’âme du monde. C’est au fond la même idée ; mais quelle différence dans les conséquences qu’ils en tirent !