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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/645

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ÉLOGE DE PASCAL.

dant, Pascal n’avait que vingt ans lorsque Cinna parut, et il n’écrivit ses lettres que douze ans après cette admirable pièce. Il n’avait donc pas été permis à Pascal de lire Cinna, et rien assurément ne prouve mieux combien l’esprit de bigoterie est ennemi des arts.

Le renoncement de Pascal aux sciences naturelles, dans lesquelles son génie eût pu être si utile, ne montre pas moins combien ce même esprit est ennemi des sciences. Contemporain de Descartes, Pascal n’eut aucune part aux progrès de sa philosophie, et il ne peut être compté ni parmi ses partisans, ni parmi ses adversaires. Mais on voit, dans le caractère de ces deux philosophes, pourquoi Pascal ne fut pour rien dans cette révolution si grande que Descartes opéra dans les esprits, révolution à laquelle le genre humain devra son bonheur, si ce bonheur est possible. Tous deux grands géomètres, doués tous deux d’un génie égal pour imaginer des


    ne sait ce que c’est que ce modèle naturel qu’il faut imiter ; et, faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc. : et on appelle ce jargon beauté poétique ! Mais qui s’imaginera une femme vêtue sur ce modèle, verra une jolie demoiselle toute couverte de miroirs et de chaînes de laiton ; et, au lieu de la trouver agréable, il ne pourra s’empêcher d’en rire ; parce qu’on sait mieux en quoi consiste l’agrément d’une femme, que l’agrément des vers. Mais ceux qui ne s’y connaissent pas l’admireraient peut-être en cet équipage ; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine ; et c’est pourquoi il y en a qui appellent des sonnets, faits sur ce modèle, des reines de village. » (Pensées de Pascal.)