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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/94

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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


comme de l’exercice, celui même qui n’a pas d’objet contribue à la santé, fortifie le corps ; il n’emploie pas nos forces, mais il nous apprend à les employer : des vérités isolées peuvent être indifférentes, mais aucun système, aucun ordre de vérités ne peuvent l’être ; il n’en est point dont une main sage et industrieuse ne sache tirer quelque jour une utilité réelle.

M. D’Alembert avait appliqué l’esprit de raisonnement et de discussion à la littérature et aux principes du goût ; avec une philosophie plus profonde que Fontenelle et La Motte, il avait marché sur leurs traces, en évitant les erreurs où l’amour du paradoxe et l’esprit de parti avaient pu les entraîner : il ne croyait pas qu’il y eût en littérature des lois générales fondées sur la raison. Écrire simplement, et surtout avec clarté ; n’employer que des mots dont le sens soit précis, ou du moins déterminé par l’usage qu’on en fait ; éviter ce qu’offense l’oreille, ce qui choque les convenances, le simple bon sens a dicté ces règles, et il n’en voulait point d’autres ; L'art d’écrire, disait-il, n’est que l’art de penser, et celui de l'éloquence n'est que le don de réunir une logique exacte et une âme passionnée. Quant à la poésie, dont le but principal est de plaire, M. D’Alembert ajoutait seulement à ses règles la nécessité de se soumettre aux lois de convention établies ; il faut craindre de blesser les hommes dont on veut captiver les suffrages, et l’on doit respecter alors les jugements de leurs préjugés, presque autant que ceux de leur raison. Ces opinions furent com-