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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/95

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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


battues par beaucoup de littérateurs, qui apparemment croyaient qu’ils auraient trop à perdre si l’on voulait borner leur mérite à celui de leurs idées. Les poètes surtout furent indignés d’être jugés par un géomètre. La sécheresse des mathématiques leur semblait devoir éteindre l’imagination ; et ils ignoraient sans doute qu’Archimède et Euler en ont mis autant dans leurs ouvrages, qu’Homère on l’Arioste en ont montré dans leurs poésies.

Cependant M. D’Alembert avait aussi fait des vers, mais en petit nombre : il réussissait surtout dans ceux qui, placés au bas d’un portrait, doivent renfermer en peu de mots une pensée vraie, fine ou profonde, exprimée dune manière forte ou piquante, et rendre, par un petit nombre de traits, le caractère, les talents, les vertus d’un homme célèbre.

Il n’avait pas prononcé, à beaucoup près, toutes ses opinions littéraires et philosophiques : ce qu’il en avait laissé pénétrer lui avait suscité assez de haines ; aussi proposait-il que chaque homme de lettres, pour concilier les intérêts de la vérité ou ceux de son repos, déposât dans une espèce de testament littéraire ses opinions bien entières, bien dégagées de toutes restrictions. Il ne faut pas croire qu’il entendît par là certaines doctrines hardies, déjà si clairement énoncées dans un grand nombre de livres : mais il existe en littérature, en philosophie, en morale, beaucoup d’opinions très-vraies, qu’on n’ose avouer, non qu’elles exposent à quelque danger réel celui qui les soutiendrait, mais parce