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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/97

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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


M. de Voltaire, l’objet de l’attention de l’Europe. M. D’Alembert avait fait l’éloge de la constitution que Genève avait alors, de la douceur de ses lois, de l’équité de ses magistrats, de l’esprit philosophique qui s’était répandu même parmi le peuple ; mais il montrait quelque doute sur l’orthodoxie de ses pasteurs, et regrettait que la proscription prononcée par Calvin contre les spectacles fût encore respectée.

Il était en effet singulier que les pasteurs genevois, ou leurs protecteurs, prétendissent au droit d’empêcher des citoyens libres de se livrer à un amusement qui n’a rien de contraire aux droits des autres hommes. Cette liberté était le seul objet de la réclamation de M. D’Alembert ; il ne proposait point de sacrifier une partie du trésor public pour dissiper l’ennui qui poursuit les gens oisifs, et de faire payer par une nation libre les plaisirs de ses chefs ; mais il croyait que, puisque les hommes ont besoin d’amusement, un plaisir dont le goût, même excessif, n’expose point au risque de perdre ou sa fortune, ou son temps, ou sa santé ; un plaisir qui exerce l’esprit, donne le goût de la littérature, et peut, s’il est bien dirigé, inspirer des vertus ou détruire des préjugés, devait mériter quelque indulgence, ou même quelque encouragement. M. Rousseau combattit l’opinion de M. D’Alembert avec beaucoup d’éloquence et de chaleur ; cet écrit contre les théâtres, composé par un auteur qui avait fait une comédie et un opéra, eut en France un succès prodigieux, surtout parmi les gens du