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vie de m. turgot.

dont le génie ait devancé son siècle assez pour en être méconnu, alors l’histoire d’un tel homme peut intéresser tous les âges et toutes les nations ; son exemple peut être longtemps utile ; il peut donner à des vérités importantes cette autorité nécessaire quelquefois à la raison même. Tel fut le ministre dont j’entreprends d’écrire la vie.

Si l’honneur d’avoir été son ami est le seul titre à l’estime publique dont j’ose me flatter, si ce sentiment a été le plus doux peut-être que j’aie jamais éprouvé, l’amitié ne me fera point altérer la vérité. Le même sentiment qui anima toute sa vie, l’amour de l’humanité, m’a seul inspiré le désir d’en tracer le tableau ; et, s’il était possible que je fusse tenté d’en altérer quelques traits, je me souviendrai alors d’avoir appris de lui, que le plus grand bien qu’on puisse faire aux hommes est de leur dire la vérité, sans déguisement comme sans exagération, sans emportement comme sans faiblesse.

Sa vie n’occupera qu’une partie de cet ouvrage. Après avoir dit le bien qu’il a fait et celui qu’il préparait ; après avoir montré ses vertus, ses talents et son courage dans le petit nombre des événements d’une vie toujours constamment dirigée par des principes invariables et simples qu’il s’était formés ; après avoir parlé de quelques ouvrages qui, dictés par une raison supérieure, renferment des vues aussi vastes que saines et bien combinées, et qui cependant sont presque tous au-dessous de lui, il me restera encore à tracer l’histoire de ses opinions, de ses idées, de son caractère. Je sens combien je dois rester au-