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Vie de M. turgot.

et les entrepreneurs, et il avait perfectionné la méthode de construire. Ainsi tout ce que les corvées ont d’odieux, tout ce qui annonce la contrainte et la servitude personnelle, tout ce qui porte dans le sein du peuple la faim, le désespoir et la mort, avait disparu. Il ne restait que la distribution injuste de l’impôt ; mais il n’était pas au pouvoir d’un intendant de la changer. Ce n’était pas même ce pouvoir qui avait produit la destruction de la corvée, c’était l’autorité de la raison, la confiance qu’inspire la vertu. Les peuples qu’une expérience malheureuse a trop instruits à se défier de ceux qui les commandent, qui ont vu si souvent violer des promesses solennelles, couvrir du voile de l’utilité publique des vexations cruelles, et faire servir le bien qu’on veut leur faire de prétexte au mal qu’on leur fait ; les peuples, dont le concours était cependant nécessaire au succès de cette opération, parurent d’abord n’y consentir qu’avec crainte ; mais la conduite de M. Turgot, constamment dirigée par la raison, la justice et l’humanité, triompha bientôt de leur défiance ; et ce triomphe fut un des plus difficiles et des plus doux que jamais la vertu ait obtenus. Pour éclarer les peuples sur ses intentions et sur leurs vrais intérêts, il s’adressait aux curés. Les lettres qu’il leur écrivait, où il entrait dans les détails les plus minutieux, où il ne négligeait rien pour se rendre intelligible aux habitants des campagnes, pour parler à leur raison, ou plutôt pour leur en créer une, ces lettres subsistent : et quelle idée ne donnent-elles pas de la grandeur et de la bonté de son âme, quand on songe que celui qui employait