Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/195

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des machines qui, employant moins de bras, forcent les ouvriers à chercher d’autres occupations ; l’accroissement, enfin, ou la diminution de la population, doi-vent produire des révolutions plus ou moins importantes, soit dans les rapports des citoyens entre eux, soit dans ceux qu’ils ont avec les nations étrangères. Il en peut résulter ou de nouveaux biens dont il faut se trouver prêt à profiter, ou des maux qu’il faut savoir réparer, dé-tourner ou prévenir. Il faudrait donc pouvoir les pressentir et se préparer d’avance à changer d’habitudes. Une nation qui se gouvernerait toujours par les mêmes maximes, et que ses institutions ne dispose-raient point à se plier aux changements, suite nécessaire des révolutions amenées par le temps, verrait naître sa ruine des mêmes opi-nions, des mêmes moyens qui avaient assuré sa prospérité. L’excès du mal peut seul corriger une nation livrée à la routine, tandis que celle qui, par une instruction générale, s’est rendue digne d’obéir à la voix de la raison ; qui n’est pas soumise à ce joug de fer que l’habitude impose à la stupidité, profitera des premières leçons de l’expérience, et les préviendra même quelquefois. Comme l’individu obligé de s’écarter du lieu qui l’a vu naître a besoin d’acquérir plus d’idées que celui qui y reste attaché, et doit, à mesure qu’il s’en éloigne, se ménager de nouvelles ressources, de même les nations qui s’avancent à travers les siècles ont besoin d’une instruction qui, se renouvelant et se corrigeant sans cesse, suive la marche du temps, la prévienne quelquefois, et ne la contrarie jamais.