Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/216

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pouvoir ; non d’enseigner la vérité, mais de perpétuer les préjugés utiles à leur ambition, les opinions qui servent leur vanité. D’ailleurs, quand même ces corporations ne seraient pas les apôtres déguisés des opinions qui leur sont utiles, il s’y établirait des idées héréditaires ; toutes les passions de l’orgueil s’y uniraient pour éterniser le système d’un chef qui les a gouvernées, d’un confrère célèbre dont elles auraient la sottise de s’approprier la gloire ; et dans l’art même de chercher la vérité, on verrait s’introduire l’ennemi le plus dangereux de ses progrès, les habitudes consacrées.

On ne doit plus craindre sans doute le retour de ces grandes erreurs qui frappaient l’esprit humain d’une longue stérilité, qui asservissaient les nations entières aux caprices de quelques docteurs à qui elles semblaient avoir délégué le droit de penser pour elles. Mais, par combien de petits préjugés de détail ces corps ne pourraient-ils pas encore embarrasser ou suspendre les progrès de la vérité ? Qui sait même si, habiles à suivre avec une infatigable opiniâtreté leur système dominateur, ils ne pourraient pas retarder assez ces progrès pour se donner le temps de river les nouveaux fers qu’ils nous destinent avant que leur poids nous eût avertis de les briser ? Qui sait si le reste de la nation, trahie à la fois et par ces instituteurs, et par la puissance publique qui les aurait protégés, pourrait découvrir leurs projets assez tôt pour les déconcerter et les prévenir ? Créez des corps enseignants, et vous serez sûrs d’avoir créé ou des tyrans, ou des instruments de la tyrannie.