Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/245

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une affection habituelle pour ceux qui nous ont fait du bien, et dont les actions nous en montrent le désir ; affection qui produit la tendresse filiale et l’amitié. Ces sentiments sont de tous les âges ; ils sont fondés sur des motifs simples et voisins de nos sensations immédiates de plaisir ou de peine ; ils existent dans notre âme aussitôt que nous pouvons avoir l’idée distincte d’un individu, et nous n’avons besoin que d’en être avertis pour apprendre à les apercevoir, à les reconnaître, à les distinguer.

La pitié pour les animaux a le même principe que la pitié pour les hommes. L’une et l’autre naissent de cette douleur irréfléchie et presque organique, produite en nous par la vue ou par le souvenir des souffrances d’un autre être sensible. Si on habitue un enfant à voir souffrir des animaux avec indifférence ou même avec plaisir, on affaiblit, on détruit en lui, même à l’égard des hommes, le germe de la sensibilité naturelle, premier principe actif de toute moralité comme de toute vertu, et sans lequel elle n’est plus qu’un calcul d’intérêt, qu’une froide combinaison de la raison. Gardons-nous donc d’étouffer ce sentiment dans sa naissance ; conservons-le comme une plante faible encore, qu’un instant peut flétrir et dessécher pour jamais. N’oublions pas surtout que dans l’homme occupé de travaux grossiers qui émoussent sa sensibilité, et le ramènent aux sentiments personnels, l’habitude de la dureté produit cette disposition à la férocité qui est le plus grand ennemi des vertus et de la liberté du peuple, la seule excuse des tyrans, le seul prétexte spécieux