Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/281

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entendu de tous les esprits dans une lecture rapide.

Maintenant, en quoi consiste cet art, je ne dis pas en lui-même, mais considéré comme faisant partie de l’enseignement établi au nom de la nation ? La puissance publique ne trahirait-elle pas la confiance du peuple, si elle faisait enseigner l’art de séduire la raison par l’éloquence ? Ne serait-ce pas, au contraire, un de ses devoirs de chercher dans le système de l’instruction à fortifier la raison contre cette séduction, à lui donner les moyens d’en dissiper les prestiges, d’en démêler les pièges ?

Dans l’éducation destinée pour tous, on doit donc se borner à enseigner l’art d’écrire un mémoire ou un avis avec clarté, avec simplicité, avec méthode d’y développer ses raisons avec ordre, avec précision d’y éviter, avec un soin égal, la négligence ou l’affectation, l’exagération ou le mauvais goût.

Le maître particulier pourra de plus enseigner l’art de présenter un ensemble, d’enchaîner ou de classer les idées, d’écrire avec élégance et avec noblesse, de préparer les effets, et surtout d’éviter les défauts que la nature a placés auprès de chacune des grandes qualités de l’esprit. Il enseignerait à ses élèves, en les exerçant sur des exemples, à démêler l’erreur au milieu des prestiges de l’imagination ou de l’ivresse des passions, à saisir la vérité, à ne pas l’exagérer, même en se passionnant pour elle. Ainsi, les hommes nés pour être éloquents ne le seraient que pour la vérité, et ceux à qui le talent aurait été refusé, pourraient en-core plaire par elle seule et faire aimer la raison en l’embellissant.