Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/280

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riches d’idées ou séduisants par l’expression. Enfin, au sortir de ces écoles, un homme ordinaire devenait un orateur passable, en état de défendre son opinion dans une assemblée, de soutenir la cause de son client ou la sienne ; de se montrer, sans être humilié, à côté des maîtres de l’art, et de ne point perdre par une élocution triviale et faible le poids que des talents d’un autre genre avaient pu lui donner.

Depuis l’invention de l’imprimerie, au contraire, si on excepte un petit nombre de cas très rares, c’est par l’écriture dans les affaires particulières, et par l’impression dans les affaires publiques, que se décident la plupart des questions, quand bien même le pouvoir résiderait dans une assemblée nombreuse, et dès lors populaire. En effet, comme cette assemblée n’est pas le peuple entier, mais seulement le corps de ses représentants, l’habitude qu’elle prendrait de céder à l’éloquence parlée lui ferait bientôt perdre son autorité, si les raisons écrites n’en-traînaient l’opinion publique dans le même sens, si les discours qui l’ont persuadée, livrés à la presse, n’agissaient avec une force égale sur la raison ou sur l’âme des lecteurs. Ainsi, plus les peuples s’éclaireront, et plus la facilité de répandre rapidement les idées par l’impression s’augmentera, plus aussi le pouvoir de la parole diminuera, et plus il deviendra utile d’influer au contraire par des ouvrages imprimés. L’art de faire des discours écrits est donc la véritable rhétorique des modernes, et l’éloquence d’un discours est précisément celle d’un livre fait pour être