Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/312

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le délire de prétendre qu’il ne méritait pas une place dans une société savante, et le fanatisme, réuni à l’hypocrisie, a eu besoin d’appeler à son secours d’autres préjugés, pour oser dire que le nom de l’auteur d’Alzire déparerait la liste de l’Académie française. L’envie voulait bien qu’il fût inférieur à Crébillon, mais elle ne le plaçait pas au-dessous de Marivaux ou de Danchet. Enfin, s’il n’y avait que ces grandes injustices à craindre, la force de l’opinion publique suffirait pour les empêcher d’être durables.

Il en est de même des jugements des sociétés savantes sur des découvertes, sur des projets. Ne confondons pas ces jugements avec ceux qui sont portés dans les affaires ordinaires de la société. Ici l’objet à juger est constant, il subsiste toujours ; on peut à tous les instants prouver l’erreur d’une décision ; et le juge, placé entre le reproche ou de partialité ou d’ignorance, ne peut échapper à tous les deux. Quelque crédit qu’un académicien ait dans son corps, quelle que soit l’autorité du corps lui-même sur l’opinion, la voix des savants de toutes les nations aurait bientôt étouffé la sienne. Ce tribunal, qu’on ne peut ni séduire, ni corrompre, garantit l’impartialité de tous les autres ; c’est lui qui distribue la honte ou la gloire. Le savant qui déclare son opinion sur une théorie, sur une invention, juge moins cette théorie, cette invention, qu’il ne se soumet lui-même au jugement libre de ses pairs. Ainsi l’amour-propre, la crainte de se déshonorer, répond ici de l’intégrité des juges, et l’intérêt qu’ils pourraient avoir à mai juger ne peut contrebalancer celui de leur existence