Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/317

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Nécessité de ne pas transformer les sociétés savantes en corps enseignants.


Le talent d’instruire n’est pas le même que celui qui contribue au progrès des sciences : le premier exige surtout de la netteté et de la méthode ; le second, de la force et de la sagacité. Un bon maître doit avoir parcouru d’une manière à peu près égale les différentes branches de la science qu’il veut enseigner ; le savant peut avoir de grands succès, pourvu qu’il en ait approfondi une seule. L’un est obligé à un travail long et soutenu, mais facile ; l’autre, à de grands efforts, mais qui permettent de longs intervalles de repos. Les habitudes que ces deux genres d’occupation font contracter ne sont pas moins différentes : dans l’un, on prend celle d’éclairer ce qui est autour de soi ; dans l’autre, celle de se porter toujours en avant ; dans l’un, celle d’analyser, de développer des principes ; dans l’autre, celle de les combiner ou d’en inventer de nouveaux ; dans l’un, de simplifier les méthodes ; dans l’autre, de les généraliser et de les étendre. Il ne faut donc pas que les compagnies savantes s’identifient avec l’enseignement, et fassent, en quelque sorte, un corps enseignant : alors, l’esprit qui doit les animer s’affaiblirait ; on commencerait à y croire qu’il peut exister pour des hommes voués aux sciences, une gloire égale à celle d’inventer, de perfectionner les découvertes ; l’adroite médiocrité profiterait de cette opinion pour usurper les honneurs du génie, et ces sociétés