Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/360

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ou nouvelles ou rajeunies qu’on peut se permettre ; elle exige de ne choquer l’usage que pour s’exprimer avec plus de propriété, de précision, d’énergie et de grâce ; et cette règle est fondée sur la raison même. En effet, toute violation de l’usage produit une impression qui nécessairement occupe une partie de l’attention destinée pour entendre ce qu’on lit ou ce qu’on écoute : il faut donc un dédommagement à cette peine. Ainsi, en préparant pour l’instruction commune l’ouvrage d’un de nos vieux auteurs, rien n’empêche de conserver l’ancien mot, s’il est meilleur, mais rien ne doit non plus empêcher de le corriger, s’il n’a d’autre mérite que d’être en désuétude. Il serait plus nécessaire encore de retrancher des vies de Plutarque les prodiges, les contes, les faux jugements, les opinions absurdes qu’on y trouve si souvent. Ceux qui cherchent à connaître l’esprit du temps où il a vécu liront ses œuvres telles qu’il les a laissées ; ceux qui ne veulent qu’une lecture agréable et utile ne perdront rien à ces retranchements.

On pourrait, en imitant Plutarque, donner aussi la vie des hommes illustres modernes, et l’on préférerait les compatriotes. Il ne serait pas difficile d’écrire philosophiquement la vie chevaleresque de Bayard ou de Du Guesclin. Les hommes devenus égaux sous l’empire de la raison, peuvent contempler avec plaisir comme avec fruit, au milieu de l’espèce humaine avilie, ces âmes vraiment nobles que les préjugés qui les asservissaient n’avaient pu dégrader, et qu’une fausse hauteur n’avait pas rabais-