Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/368

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les vérités que la nature leur a réservées, m’aurait inspiré le courage de me livrer à ce travail. Au milieu du spectacle affligeant des erreurs et des vices qu’elles ont fait naître, il est consolant de pouvoir reporter ses jouissances vers l’avenir ; et c’est là que surtout elles existent pour ceux qui, à toutes les époques. comparant ce qui est avec ce qui pourrait être, ne peuvent jamais voir que dans l’éloignement le bien qu’ils conçoivent ; car telle est la loi de la nature, rarement sujette à des exceptions passagères amenées par des événements extraordinaires, que la raison devance toujours le bonheur, et que le sort de chaque génération soit de profiter des lumières de celle qui l’a précédée, et d’en préparer de nouvelles, dont celle qui la suivra doit seule jouir. Les générations naissantes n’opposent ni des préjugés, ni des passions, ni de fausses combinaisons d’intérêt personnel au bonheur qu’on veut répandre sur elles ; on n’a pas besoin qu’elles y consentent. Le bien qu’on leur fait d’avance est pur et ne coûte pas même de larmes aux méchants. Pourquoi le plaisir d’y concourir ne serait-il pas encore assez attrayant, quand aucune gloire n’y viendrait mêler sa séduction ? N’y a-t-il donc que la gloire qui puisse donner le courage de vaincre les difficultés ou les dégoûts du travail ? Et le plaisir de l’utilité qu’on prévoit dans un avenir éloigné ne peut-il pas suppléer à celui de poursuivre et de saisir des vérités cachées encore à tous les yeux ? Pourquoi ne jouirait-on pas du bien qui n’existe pas encore, et qui durera, comme on jouit du bien qu’on a fait, et qui