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Page:Condorcet - Réflexions sur l’esclavage des nègres, 1781.djvu/90

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Réflexions

de France ou d’Eſpagne. D’abord quand cela ſeroit, comme l’exceſſive miſere de ces paysans ſeroit l’ouvrage des impôts, des gênes, des prohibitions, qu’on appelle tantôt police, tantôt encouragement des manufactures, en un mot des mauvaiſes loix ; ce raiſonnement ſe réduit à dire : Il y a des pays où l’on eſt parvenu à rendre des hommes libres plus malheureux que des eſclaves, donc il faut bien ſe garder de détruire l’eſclavage. D’ailleurs cette allégation eſt fauſſe. Elle a pu être avancée de bonne foi par des hommes que les miſeres publiques, dont ils étoient témoins, avoient révolté : elle peut être le cri d’indignation d’une ame honnête, mais jamais on n’a pu la regarder comme une aſſertion réfléchie. Dans les pays dont on parle, il y a ſans ceſſe, à la vérité, une petite partie du peuple qui ſe détruit par la miſere, mais il est fort douteux qu’un mendiant soit plus malheureux qu’un Negre, & ſi on excepte les tems de calamités ou les malheurs particuliers, la vie du journalier la plus pauvre eſt moins dure, moins malheureuſe que celle des Noirs eſclaves. Les corvées ſeules pouvoient mettre quelquefois une partie du