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sur l’esclavage des negres.

Mais il y a une autre liberté, celle de diſpoſer librement de ſa perſonne, de ne pas dépendre, pour ſa nourriture, pour ſes ſentimens, pour ſes goûts, des caprices d’un homme ; il n’eſt perſonne qui ne ſente la perte de cette liberté, qui n’ait horreur de ce genre de ſervitude.

On dit qu’on a vu des hommes préférer l’eſclavage à la liberté, je le crois ; c’eſt ainſi qu’on a vu des François à qui on ouvroit la porte de la Baſtille, aimer mieux y reſter que de languir dans la miſere & dans l’abandon. Un payſan eſclave jouit, à des conditions très-dures, d’une maiſon, d’un champ, & cette maiſon, ce champ, ſont à ſon maître. On lui offre la liberté, c’eſt-à-dire qu’on lui offre de le mettre hors de chez lui, de lui ôter le ſeul moyen de ſubſiſter qui ſoit en ſon pouvoir, il eſt tout ſimple qu’il préfere l’eſclavage. Mais n’eſt-il pas à la fois ridicule & atroce de ſoutenir qu’un homme eſt bien, parce qu’il aime mieux ſon état que de mourir de faim ?

On a oſé dire que les Negres ſont mieux, non pas que nos payſans ou ceux d’Angleterre & de Hollande, mais que les payſans