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CONQUÊTE.

qui peuvent être raiſonnables & paiſibles quoiqu’il ait été brutal & injuſte un père, par ſa mauvaife conduite & par ſes violences, peut perdre le droit qu’il avoit ſur ſa perſonne & ſur ſa propre vie mais ſes enfans ne doivent point être enveloppés dans ſes crimes, ni dans ſa deſtruction. Ses biens, que la nature, qui veut la conſervation de tous les hommes autant qu’elle eſt poſſible, a fait appartenir à ſes enfans pour les empêcher de périr continuent toujours à leur appartenir. Car ſuppoſons qu’ils ne ſe ſoient point joints à leur pere dans une guerre injuſte ſoit parce qu’ils étoient trop jeunes & dans l’enfance ſoit parce que, par leur propre choix, ils n’ont pas voulu ſe joindre à lui, il eſt manifeſte qu’ils n’ont rien fait qui doive leur faire perdre le droit qu’ils ont naturellement ſur les biens dont il s’agit & un conquérant n’a pas ſujet de les leur prendre par le ſimple droit de Conquête, faite ſur un homme qui avoit réſolu & tâché de le perdre par la force tout le droit qu’il peut avoir ſur ces biens, n’eſt fondé que ſur les dommages qu’il a ſoufferts par la guerre & pour défendre ſes droits, & dont il peut demander la réparation. Or juſqu’à quel point s’étend ce droit ſur les poſſeſſions des ſubjugués c’eſt ce que nous verrons dans l’inſtant. Concluons ſeulement ici, qu’un vainqueur, qui par ſes Conquêtes a droit ſur la vie de ſes ennemis, & peut la leur ôter, quand il lui plaît, n’a point droit ſur ſes biens, pour en jouir & les poſſéder. Car c’eſt ſa violence brutale dont un agreſſeur a uſé, qui a donné à celui à qui il a fait la guerre, le droit de lui ôter la vie & de le détruire, s’il le trouve à-propos comme une créature nuiſible & dangereuſe mais c’eſt ſeulement le dommage ſouffert, qui peut donner quelque droit ſur les biens des vaincus. Je puis tuer un voleur qui ſe jette ſur moi dans un grand chemin je ne puis pas pourtant, ce qui ſemble être quelque choſe de moins lui ôter ſon argent, en épargnant ſa vie & le laiſſant aller ; ſi je le faiſois, je commettrois ſans doute un larcin. La violence de ce voleur & l’état de guerre dans lequel il s’eſt mis, lui ont fait perdre le droit qu’il avoit ſur ſa vie, mais ils n’ont point donné droit ſur ſes biens. De même, le droit des Conquêtes s’étend ſeulement ſur la vie de ceux qui ſe ſont joints dans une guerre, mais non ſur leurs biens, ſinon autant qu’il eſt juſte de ſe dédommager & de réparer les pertes & les frais qu’on a faits dans la guerre avec cette reſtriction & cette conſidération que les droits des femmes & des enfans innocens ſoient conſervés.

Qu’un conquérant ait, de fon côté, tant de juſtice & de raiſon qu’on voudra ; il n’a point droit néanmoins de ſe ſaifir de plus de choſes, que ceux qui ont été ſubjugués, n’ont mérité d’en perdre. Leur vie eſt à la merci du vainqueur ; leur ſervice & leurs biens ſont devenus ſon bien propre, & il peut les employer pour réparer le dommage qui lui a été cauſé mais il ne peut prendre ce qui appartient aux femmes & aux enfans, qui ont leur droit & leur part aux biens & aux effets dont leurs maris ou leurs peres ont joui. Par exemple, dans l’état de nature (tous les États ſont dans