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Page:Conrad - En marge des marées.djvu/104

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dit-il, le capitaine aurait pu s’en aller de suite, pendant que j’étais déjà dans le canot de sauvetage, et vous auriez peut-être largué tout, en me laissant là. » « C’est vrai aussi », dit le patron. Une minute environ se passe. « Il faut en finir », dit le patron. Soudain Stafford parle d’un ton caverneux : « J’étais près de lui quand il a dit à M. Cloete qu’il ne savait pas s’il aurait jamais le courage d’abandonner son vieux navire, n’est-ce pas, hein ?… » et Cloete se sent le bras empoigné doucement dans l’obscurité…« n’est-ce pas ? Nous étions ensemble juste au moment vous êtes survenu, M. Cloete. »

Et voilà qu’alors le patron crie : « Je vais voir ce qui est arrivé à bord… » Cloete dégage brusquement son bras : « Je vais avec vous… »

Quand ils sont à bord, le patron dit à Cloete de suivre tout le long d’un côté du navire, tandis qu’il suivra l’autre pour ne pas manquer le capitaine… « Et tâtonnez bien autour de vous avec les mains, dit-il, il se pourrait qu’il fut tombé et qu’il soit resté évanoui quelque part sur le pont… » Quand Cloete atteint le capot d’échelle de la dunette, le patron y est déjà, reniflant. « Je sens une odeur de brûlé. » Et il crie : « Êtes-vous là, monsieur ?… » « Ce n’est pas la peine de crier », dit Cloete sentant son cœur se pétrifier, comme qui dirait… Ils descendent. Nuit noire. Le navire penchait tellement que le patron, cherchant son chemin en tâtonnant dans la chambre du capitaine, glisse et roule en bas. Cloete l’entend pousser une exclamation comme s’il s’était fait mal, et il lui demande ce qu’il y a. Et le patron lui répond doucement qu’il a buté dans le capitaine qui gît là par terre, sans connaissance. Cloete sans mot dire commence à tâtonner sur les tablettes pour trouver une boîte d’allumettes, en trouve une et allume. Il voit le patron avec sa ceinture de sauvetage agenouillé près du capitaine Harry… « Du sang », dit le patron en relevant les yeux et l’allumette s’éteint.

« Attendez un peu, dit Cloete, je vais faire une torche de papier. » Il avait senti le dos de quelques livres sur les planchettes, et il allume plusieurs torches l’une après l’autre, cependant que le patron retourne le pauvre capitaine Harry. « Il est mort, dit-il. Une balle dans le cœur. Voilà le revolver… » Il le tend à Cloete qui le regarde avant de le mettre dans sa poche, et voit une plaque sur la crosse avec H. Dunbar dessus… « C’est le sien », murmure-t-il… « Le revolver de qui pensiez-vous trouver ? » dit le patron. Et, regardez, il a enlevé son suroît dans la cabine avant d’entrer. « Mais qu’est-ce que c’est que ce tas de papiers brûlés ? Qu’avait-il besoin de brûler les papiers du bord ? »

Cloete voit tous les petits tiroirs ouverts et demande au patron de