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Page:Conrad - En marge des marées.djvu/103

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répond : « Oui tous, capitaine… » « Tenez-vous près à quitter le bateau, alors, dit le capitaine, et que deux d’entre vous aident monsieur à descendre le premier… « Oui, oui, capitaine… » Cloete va demander au capitaine Harry de le laisser rester le dernier, mais le canot de sauvetage a jeté le grappin sur les haubans d’avant ; deux matelots s’emparent de lui, attendent le bon moment et le lancent dans le canot sain et sauf.

Le voilà presque épuisé, pas habitué à ce genre de choses, vous comprenez. Il s’assied à l’arrière, les yeux fermés. Nulle envie de regarder l’eau blanche qui bouillonne tout autour. Les hommes se jettent l’un après l’autre dans le canot. Alors il entend le capitaine Harry criant dans le vent au patron du canot d’attendre un moment, et d’autres mots qu’il ne peut saisir, et le patron qui lui crie : « Faites vite, capitaine… » « Qu’est-ce qu’il y a ? » demande Cloete, se sentant défaillir… « Quelque chose à propos des papiers du bord, dit le patron très inquiet. Il ne fait pas un temps à rester bord à bord, vous comprenez. » Ils déhalent un peu le canot, et on attend. L’eau passe par dessus bord, en lames. Cloete se trouve presque mal. Il ne pense à rien. Il est tout à fait engourdi, quand soudain on entend un cri : « Tenez, le voilà !… » Il voit une forme qui attend dans le hauban d’avant, ils halent sur la ligne du grappin et l’embarquent facilement. On entend vaguement un cri, tout se mêle au bruit de la mer. Cloete s’imagine entendre la voix de Stafford parler tout près de son oreille. Il y a une accalmie dans le vent, et la voix de Stafford semble parler très rapidement au patron du canot ; il lui dit que naturellement il était resté près du capitaine, près de lui tout le temps, jusqu’à ce que celui-ci lui eût dit au dernier moment qu’il doit aller chercher les papiers du bord dans la cabine d’arrière ; il a insisté pour y aller lui-même ; il lui a dit à lui, Stafford, d’embarquer dans le canot… Il voulait attendre son chef, seulement cette accalmie est venue et il a pensé qu’il valait mieux saisir cette occasion. Cloete ouvre les yeux. C’est vrai. Stafford est assis là tout près de lui dans ce canot encombré. Le patron se penche au-dessus de Cloete et lui crie : « Avez-vous entendu ce que dit le second, monsieur ? » La figure de Cloete devient comme si elle s’était changé en plâtre, lèvres et tout. « Oui, j’ai entendu », répond-il avec effort. Le patron attend un moment, puis dit : « Je n’aime pas cela du tout… » Et il se retourne vers le second en lui disant que c’est bien dommage qu’il n’ait pas essayé de courir le long du pont et de faire se hâter le capitaine quand l’accalmie est venue. Stafford répond immédiatement qu’il y a pensé, seulement il a craint de le manquer sur le pont dans l’obscurité. « Car,