Aller au contenu

Page:Conrad - En marge des marées.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nant, écoutez la mienne. Quel est ce complot ? Qui peut le prouver ? Vous étiez là pour voler. Vous étiez en train de dévaliser la cabine. Il vous a surpris à l’improviste, la main dans le tiroir, et vous l’avez tué avec son propre revolver. Vous l’avez tué pour voler, pour voler. Son frère et les employés dans le bureau savent qu’il avait emporté en mer soixante livres. Soixante livres en or, dans un sac. Il m’avait dit où elles étaient. Le patron du canot de sauvetage peut porter serment que les tiroirs étaient vides, tous. Et vous êtes assez idiot pour, moins d’une demi-heure après être débarqué, changer une livre pour payer une consommation. Écoutez-moi. Si vous n’allez pas après-demain chez les avocats de George Dunbar faire la déposition convenable en ce qui concerne la perte du navire, je mets la police à vos trousses. Après-demain… »

Et alors que croyez-vous ? Que Stafford commence à s’arracher les cheveux. Précisément. Il se les arrache à deux mains sans rien dire. Cloete donne un coup à la table qui envoie presque l’homme rouler hors de sa chaise, et tomber contre le garde-feu auquel il lui fallut se rattraper… « Vous savez quel genre d’homme je suis, lui dit Cloete, férocement. J’en suis au point où je me soucie peu de ce qui peut m’arriver. Je vous tuerais maintenant pour un rien. »

En entendant cela, l’animal disparaît sous la table. Cloete sort ; comme il tourne dans la rue, vous savez ces petites maisons de pêcheurs, dans l’obscurité, de la pluie à torrents, d’ailleurs, l’autre ouvre la fenêtre du petit salon et lui dit d’un ton larmoyant : « Vous êtes un sale diable d’Américain ; vous me paierez cela un de ces jours. » Cloete s’éloigne avec un rire amer, parce qu’il se dit que cet individu s’est déjà payé ; si seulement il le savait.

Mon impressionnant brigand but la bière qui restait, tout en me regardant par dessus le bord de son verre, de ses yeux noirs et éteints.

— Je ne comprends pas bien, lui dis-je, comment cela ?

Il se détendit un peu et m’expliqua sans trop de dédain qu’après la mort du capitaine Harry, la moitié de l’argent de l’assurance alla à sa femme, et que ses tuteurs achetèrent naturellement des fonds d’État. Juste de quoi lui assurer le confort nécessaire. La part de George Dunbar, comme Cloete le craignait tout d’abord, ne fut pas suffisante pour lancer convenablement le médicament. D’autres capitalistes entrèrent dans l’affaire et nos deux hommes durent se retirer de l’opération, à peu près dépouillés de tout.