Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/226

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pacifique dans ses aspirations. Il méditait en silence sur ce bizarre changement d’humeur. Maints de ses camarades éprouvèrent probablement le même sentiment. Mais ce n’était pas le moment d’en parler. Dans une de ses lettres à sa sœur, d’Hubert écrivait :

La réalisation de tes plans pour me faire épouser la charmante voisine que tu as dénichée dans ton voisinage, paraît plus que jamais douteuse, ma chère Léonie. La paix n’est pas encore là ; l’Europe a besoin d’une nouvelle leçon. Ce sera pour nous une rude tâche, mais nous en viendrons à bout, car l’Empereur est invincible.

C’est en ces termes que, de Poméranie, le colonel d’Hubert écrivait à sa sœur Léonie établie dans le Midi de la France. Jusque-là, ses sentiments n’auraient pas été désavoués par le colonel Féraud, qui n’écrivait à personne, dont le père avait été un forgeron illettré, qui n’avait ni frère ni sœur, et que nul ne souhaitait ardemment unir pour la vie à une charmante jeune fille. Mais la lettre du colonel d’Hubert comportait aussi quelques généralités philosophiques, touchant l’incertitude de tous les espoirs personnels, quand ils sont exclusivement liés à la prestigieuse fortune d’un homme incomparablement grand à coup sûr, mais qui reste homme dans sa grandeur. Cette restriction eût semblé au colonel Féraud une affreuse hérésie, et il aurait tenu pour haute trahison l’expression prudente de pressentiments mélancoliques sur l’avenir des opérations militaires. Au contraire, Léonie, la sœur du colonel d’Hubert, en accueillit la lecture avec une satisfaction profonde, et se dit, en pliant pensivement sa lettre « qu’Armand allait finir par devenir raisonnable. »

Depuis son mariage dans une famille du Midi, elle avait acquis une foi ardente dans le retour du souverain légitime. Pleine d’anxieux espoir, elle priait matin et