pourrait croire étourdiment qu’avec une véritable armée de morts semés sur le chemin de la retraite, il ne fût pas difficile de suppléer à de telles défectuosités. Seulement, il n’est pas aussi facile en pratique qu’en théorie, d’arracher une paire de bretelles à un cadavre gelé. Il faut s’attarder pendant que les camarades avancent, et le colonel d’Hubert se serait fait scrupule de rester en arrière. Une fois sorti du rang, il n’était jamais sûr de rejoindre son bataillon, et l’horrible perspective d’un cadavre opposant à sa violence une inflexible rigidité, répugnait à la délicatesse de ses sentiments. Par bonheur, un jour qu’il creusait un monticule de neige, entre les baraques d’un village, dans l’espoir de trouver une pomme de terre gelée ou quelque débris de légume à se mettre sous la dent, le colonel d’Hubert découvrit une paire de ces nattes dont les paysans russes garnissent les côtés de leurs charrettes. Débarrassées de la neige gelée qui les recouvrait, pliées autour de son élégante personne et fixées autour de sa taille, elles formèrent une sorte de jupe raide, en forme de cloche, qui donna au colonel d’Hubert, un aspect parfaitement décent, mais attira encore plus l’attention sur sa personne.
Ainsi accoutré, il acheva la retraite, sans jamais douter de son salut personnel, mais avec un cœur assailli de craintes. La belle foi de sa jeunesse était éteinte. Lorsqu’une route de gloire menait à des passages aussi imprévus, on pouvait se demander, — et il aimait à réfléchir —, si le guide était tout à fait digne de confiance. C’était là, chez lui, tristesse patriotique mêlée aussi de quelque souci personnel, et tout à fait différente de l’indignation féroce contre les hommes et les choses que nourrissait le colonel Féraud. Dans la petite ville d’Allemagne où il reprit des forces pendant trois semaines, le colonel d’Hubert fut surpris de découvrir en lui un désir de repos. Sa vigueur recouvrée était étrangement