Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/254

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— Je me souviens des démêlés, au sujet de la petite Sophie Derval, entre monsieur de Brissac, capitaine aux Gardes du Corps, et d’Anjorrant (pas le grêlé, l’autre, le beau d’Anjorrant, comme on disait). Ils se rencontrèrent trois fois en dix-huit mois, le plus galamment du monde. C’était la faute de cette petite Sophie, qui s’obstinait à jouer...

— Il n’y a rien de pareil ici, interrompit le général d’Hubert avec un rire sardonique. L’affaire n’est pas du tout aussi simple, de moitié aussi raisonnable, ajouta-t-il, en grinçant des dents avec rage.

Il y eut un long moment de silence, que le chevalier rompit pour demander, sans animation :

— Qui est-ce, ce Féraud ?

— Un lieutenant de hussards, aussi... pardon ; il est général maintenant. C’est un Gascon ; le fils d’un forgeron, je crois.

— Là ! Je le pensais bien. Ce Bonaparte avait une prédilection pour la canaille. Je ne dis pas cela pour vous, d’Hubert. Vous êtes des nôtres, quoique vous ayez servi cet usurpateur qui...

— Laissez-le donc tranquille ; il n’a rien à voir là-dedans, s’écria d’Hubert.

Le chevalier haussa ses maigres épaules.

— Des Féraud ! Des enfants de forgeron et de traînées de village. Voyez ce que l’on gagne à se mêler à cette sorte de gens.

— Vous avez fait des souliers, vous, chevalier.

— D’accord ; je ne suis pas fils de savetier. Ni vous non plus, monsieur d’Hubert. Nous avons l’un et l’autre quelque chose que n’ont pas tous les princes, tous les ducs, tous les maréchaux de votre Bonaparte, parce que nul pouvoir sur terre n’aurait pu le leur donner, riposta le vieil émigré avec l’animation croissante de l’homme qui a trouvé un argument solide. Ça n’existe pas, ces Féraud ! Féraud ! Qu’est-ce que c’est