Voyant le général tressaillir, et chercher à placer un mot, le vieil émigré leva la main et ajouta avec dignité :
— J’ai été soldat aussi. Je n’oserais pas proposer une démarche douteuse à l’homme dont ma nièce doit porter le nom. Je vous affirme qu’entre galants hommes, une affaire peut toujours s’arranger.
— Mais, saperlotte, monsieur le Chevalier, celle-là date de quinze ou seize ans ! J’étais lieutenant de hussards, à l’époque.
Le vieux chevalier resta confondu devant l’accent de véhément désespoir de cette affirmation.
— Vous étiez lieutenant de hussards, il y a seize ans ? balbutia-t-il avec stupeur.
— Évidemment. Vous ne pensez pas que j’aie été nommé général au berceau, comme un prince du sang ?
Dans le crépuscule mauve qui s’épaississait sur les vignes, avec une sombre bande pourpre très bas au couchant, la voix de l’ex-officier à l’armée des Princes se fit très nette, méticuleusement polie.
— Je rêve. Est-ce que vous plaisantez, ou dois-je comprendre que vous avez laissé dormir une affaire d’honneur pendant seize ans ?
— Elle m’a poursuivi tout ce temps-là, voilà ce que je veux dire. Son origine n’est pas facile à expliquer. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois sur le terrain depuis le début de l’affaire.
— Quelles manières! Quelle horrible perversion du courage ! Il faut la folie sanguinaire de la Révolution, qui a marqué toute une génération, pour expliquer une telle inhumanité, murmura le vieil émigré d’un ton pensif. Comment s’appelle votre adversaire ?
— Mon adversaire ? Féraud.
Diaphane, sous le tricorne et les vêtements anciens, comme un fantôme voûté et émacié de l’ancien régime, le chevalier évoqua des souvenirs défunts :