Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/259

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passa en bandoulière. Avant de sortir du jardin, il se sentit à nouveau la touche sèche ; il cueillit deux oranges. C’est seulement après avoir refermé la grille derrière lui qu’il eut un moment de faiblesse.

Il se força à avancer quand même, et retrouva l’usage de ses jambes après quelques pas. Dans l’aube incolore et transparente, le bois de pins détachait avec netteté contre les rochers gris de la colline les colonnes de ses troncs et la masse sombre de sa verdure. D’Hubert regardait fixement devant lui, et suçait une orange en marchant. Le calme souriant, en face du danger, qui avait fait de lui un officier aimé de ses hommes et apprécié de ses supérieurs, lui revenait peu à peu. Il marchait à une bataille. À l’orée du bois, il s’assit sur un rocher, la seconde orange dans sa main, et se reprocha d’être arrivé si ridiculement tôt sur le terrain. Il ne fut pourtant pas long à entendre un sifflement de branches, des pas sur le sol dur, et le bruit d’une conversation entrecoupée. Une voix disait quelque part, derrière lui, avec un accent vantard :

— C’est un beau gibier pour ma carnassière !

— Les voici, se dit-il. Que parlent-ils de gibier ? Serait-ce de moi qu’il s’agit? Et voyant le fruit qu’il tenait à la main : Bonnes oranges, se dit-il ; c’est l’arbre de Léonie ; autant manger celle-là que de la jeter !

Émergeant d’un désert de rochers et de buissons, Féraud et ses seconds aperçurent le général d’Hubert en train de peler l’orange. Il s’arrêtèrent, attendant de lui voir redresser la tête. Alors les témoins levèrent leur chapeau, tandis que Féraud s’écartait un peu, les mains derrière le dos.

— Je suis obligé, messieurs, de prier l’un de vous de se mettre à ma disposition, fit d’Hubert ; je n’ai pas amené d’ami. Y consentez-vous ?

— Cela ne se refuse pas, fit sentencieusement le