Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/282

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avait dû rester alité pendant trois mois, dans sa maison de campagne solitaire, sans autre compagnie que celle de son valet de chambre et du ménage des gardiens du domaine. Il ne tenait pas là « maison ouverte », comme il le disait, et avait seulement voulu y passer une couple de jours, pour causer avec son intendant. Il se promettait de ne jamais plus commettre à l’avenir pareille imprudence. Les premières semaines de septembre le trouvèrent sur les rives de son golfe bien-aimé.

On rencontre parfois, en voyage, des solitaires de cette espèce, dont la seule occupation semble être d’attendre l’inévitable. Morts et mariages ont fait la solitude autour d’eux, et l’on ne peut vraiment blâmer leurs efforts pour rendre l’attente aussi douce que possible. Comme il me le disait : — A mon âge, l’absence de douleur physique est chose fort importante.

Qu’on ne se le représente pas, pourtant, comme un hypocondriaque tâtillon. Il était beaucoup trop bien élevé pour être « fâcheux ». Il savait voir les petites faiblesses de l’humanité, et les considérer d’un œil bienveillant. C’était un compagnon d’après-dîner aimable et enjoué, et de commerce facile. Nous avions passé ensemble trois soirées, quand je dus quitter Naples pour rejoindre un ami qui venait de tomber sérieusement malade à Taormina. N’ayant rien à faire, il Conte vint m’accompagner à la gare. J’étais assez inquiet, et son oisiveté était toujours prête à prendre une forme bienveillante. Ce n’était pas du tout un indolent.

Il inspecta le train pour me chercher une bonne place, puis resta sur le quai à bavarder doucement. Il me déclara que j’allais lui manquer, et me fit part de son intention d’aller, après dîner, au jardin public, la Villa Nazionale. Cela l’amuserait d’entendre de bonne musique, et de regarder la meilleure société. Il y aurait beaucoup de monde, comme toujours.

Je crois voir encore son visage éclairé par un sourire