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Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/115

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son bras repoussait une ombre nouvelle. « … Cela, c’était mon affaire ! »

– « Ah vraiment ? » fis-je, avec une inexprimable stupeur, devant cette volte inattendue ; je le regardais avec l’étonnement que j’aurais pu éprouver si, après une pirouette sur les talons, il m’eût présenté un visage entièrement nouveau.

– « Je n’ai pas attrapé de fièvre cérébrale ; je ne suis pas tombé mort », poursuivait-il. « Je ne m’inquiétais nullement du soleil sur ma tête. Je réfléchissais aussi froidement que réfléchit jamais un homme assis à l’ombre. Cette brute graisseuse de capitaine sortit de la toile sa grosse boule tondue, et grommela, en fixant sur moi ses yeux louches : – « Donnerwetter ! fous allez fous tuer ! » puis il rentra bien vite sa tête, comme une tortue. Je l’avais vu ; je l’avais entendu, mais le cours de mes réflexions n’en fut pas interrompu. Je me disais, à ce moment précis, que je n’allais pas mourir… »

« Il laissa tomber sur moi, en passant, un regard attentif, qui s’efforçait de lire mes pensées. – « Voulez-vous dire que vous agitiez en vous-même l’idée de vous tuer ? » demandai-je, avec l’accent le plus impénétrable que je pus trouver. Il fit un signe de tête, sans s’arrêter. – « Oui, j’en étais arrivé là, au cours de ma veillée solitaire », avoua-t-il. Il fit quelques pas, jusqu’à la limite imaginaire de sa ronde, et lorsqu’il revint vers moi, il avait enfoncé ses deux mains dans ses poches. Il s’arrêta net devant ma chaise, et baissa les yeux sur moi. « Est-ce que vous ne me croiriez pas ? » demanda-t-il, avec une curiosité douloureuse. Je me sentis ému, et lui affirmai solennellement que j’étais prêt à ajouter une foi implicite à tout ce qu’il jugerait bon de me raconter. »



XI


« Il m’écoutait, la tête penchée de côté, et ce fut une nouvelle éclaircie, qui laissa pénétrer mes regards dans la brume où il vivait et se mouvait. La bougie pétillait