Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/166

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cette rencontre, quelque chose, d’inattendu et de merveilleux ? Ce soir-là, couché sur une chaise longue, à l’abri de ma tente de poupe (c’était dans le port de Hong-Kong), je posai, à l’intention de Jim, la première pierre d’un château en Espagne.

« Je fis une nouvelle tournée vers le nord, et en rentrant, je trouvai une nouvelle lettre de mon ami, qui m’attendait. C’est la première enveloppe que je décachetai. « Il ne me manque pas de cuillers, pour autant que je sache », lus-je, dès la première ligne, « car je n’ai pas eu la curiosité de m’en informer. Il est parti en laissant sur la table du déjeuner un petit mot sec, ce qui est une preuve de bêtise ou de manque de cœur. Des deux, probablement…, et cela m’est d’ailleurs parfaitement égal. Permettez-moi de vous avertir, pour le cas où vous tiendriez en réserve d’autres jeunes gens mystérieux, que j’ai définitivement et pour toujours fermé boutique. C’est la dernière excentricité dont je me serai rendu coupable. Ne vous figurez pas une minute que je me soucie le moins du monde de ce départ, mais les joueurs de tennis ont fort regretté votre ami, et j’ai dû, en ce qui me concerne, faire à mon club un mensonge plausible… » Je jetai la lettre de côté et me mis à chercher, dans le tas des enveloppes, l’écriture de Jim. Le croiriez-vous ? Une chance sur cent ! Mais c’est toujours celle-là qui survient ! Le petit mécanicien du Patna, arrivé dans un état de dénuement plus ou moins complet, avait obtenu au moulin un emploi temporaire, pour surveiller les machines. « Je n’ai pas pu supporter la familiarité de cette petite brute ! » m’écrivait Jim, d’un port de mer situé à sept cents milles au sud de l’endroit où il aurait dû vivre comme un coq en pâte. « Je suis maintenant provisoirement chez Egström et Blake, fournisseurs de navires, en qualité de… courtier, pour appeler la chose par son nom. Je leur ai donné, comme référence, votre nom qu’ils connaissent naturellement, et si vous pouviez écrire un mot en ma faveur, cet emploi pourrait m’être assuré de façon définitive. » Je fus écrasé sous les ruines de mon château, mais j’écrivis bien entendu le mot demandé. Avant la fin de l’année, un nouveau contrat me conduisit de ce côté-là, et me donna l’occasion de revoir Jim.

« Il était encore chez Egström et Blake, et nous nous