Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/225

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seulement, jusqu’à l’arrivée de Jim, il n’avait pas eu assez peur pour se tenir tranquille. Il les frappait en frappant ses propres sujets et se croyait sincèrement dans son droit. La situation était encore compliquée par la présence d’un étranger, un métis Arabe qui, pour des motifs purement religieux, je crois, avait incité à la révolte des tribus de l’intérieur (les peuples des bois, comme disait Jim), et s’était installé dans un camp fortifié, au sommet d’une des montagnes jumelles. Il menaçait de là la ville de Patusan comme un faucon qui plane sur une basse-cour, et dévastait tout le pays d’alentour. Des villages abandonnés pourrissaient sur leurs poteaux noircis au bord des torrents clairs ; ils laissaient par bribes tomber à l’eau l’herbe de leurs murs, les feuilles de leur toit, et ces ruines prenaient un singulier aspect de décrépitude naturelle, comme si elles eussent été une forme de végétation frappée par la maladie dans sa racine même. Les deux partis du Patusan ne savaient pas très bien lequel d’entre eux ce troisième partisan préférait plumer. Le Rajah intriguait sourdement avec lui. Certains des colons Bugis, las d’une éternelle insécurité, songeaient un peu à l’appeler à la rescousse. Les plus audacieux d’entre eux disaient en riant qu’ils allaient charger le Chérif Ali de chasser du pays, à l’aide de ses sauvages, le Rajah Allang. Doramin avait peine à les contenir. Il vieillissait, et bien que son autorité demeurât intacte, la situation commençait à le déborder. Tel était l’état des affaires, lorsque, échappé de la cour du Rajah, Jim arriva devant le chef des Bugis, montra son anneau, et fut, pour ainsi dire, reçu dans le cœur de la communauté. »



XXVI


– « Doramin était l’un des hommes les plus remarquables de sa race que j’aie jamais vus. Il était énorme pour un Malais, mais il ne paraissait pas seulement gros, il était imposant et monumental. Ce corps immobile, vêtu de riches étoffes, de soies colorées et de broderies d’or ; cette tête formidable, entourée d’un foulard rouge et or ; le gros visage