Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/235

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blanche, tandis que l’autre éclatait en un tumulte stupéfiant de hurlements de fureur, de cris de guerre, de gémissements, de clameurs de surprise et d’épouvante. Jim et Dain Waris furent les premiers à poser la main sur la palissade. La rumeur populaire voulait que le blanc eût jeté bas la porte en la touchant du doigt. Mais, bien entendu, il se défendait énergiquement d’un tel exploit. La clôture tout entière, – il insistait bien sur ce point –, constituait une médiocre fortification, car le Chérif Ali se fiait surtout à l’inaccessibilité de sa position ; d’ailleurs, les pieux, déjà réduits en miettes, ne tenaient plus que par miracle. Jim avait, comme un imbécile, donné un coup d’épaule, qui l’avait précipité, la tête la première, dans l’enceinte. Sans Dain Waris, il eût été cloué à un pieu, comme un des scarabées de Stein, par la lance d’un vagabond tatoué et grêlé de petite vérole. Le troisième assaillant avait été Tamb’ Itam, le propre domestique de Jim. C’était un Malais du Nord, étranger égaré un jour au Patusan, où il avait été retenu de force par le Rajah Allang, pour ramer sur une de ses barques d’apparat. Échappé à la première occasion et trouvant un refuge précaire, mais fort peu à manger chez les colons Bugis, il s’était attaché à la personne de Jim. Son visage plat, aux yeux proéminents et injectés de bile, était très foncé. Il y avait quelque chose d’excessif et presque de fanatique dans son dévouement à son « Seigneur blanc », dont il était inséparable comme une ombre morose. Dans les cérémonies, il marchait sur les talons de son maître, une main à la poignée de son kris, et tenait à distance les gens du commun avec des regards renfrognés et terribles. Jim en avait fait l’intendant de sa maison, et tout Patusan le respectait et le cajolait comme un homme de haute importance. Lors de la prise de l’enceinte, il s’était fort distingué par la férocité méthodique de son mode de combat. – « Les assaillants avaient fait une si brusque irruption, contait Jim, que malgré la panique de la garnison, il y avait eu cinq minutes d’assez chaud corps à corps, à l’intérieur de cette palissade, jusqu’au moment où quelque âne bâté ayant mis le feu aux cabanes de branches et d’herbes sèches, nous avions tous dû filer pour sauver notre vie. »

« La déroute avait été complète. Doramin qui attendait imperturbablement dans son fauteuil de la colline, et sous