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Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/334

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Il ne le revit jamais. À mi-côte, il rencontra Cornélius qui descendait lourdement, la tête dans les épaules. – « Pourquoi ne l’avez-vous pas tué ? » demanda le métis, avec un aigre accent de colère. – « Parce que j’avais mieux à faire », répondit Brown en souriant ironiquement. – « Jamais ! Jamais ! » protesta violemment Cornélius, « c’est impossible ! J’ai vécu tant d’années ici. » Brown le regarda curieusement. Il y avait de multiples aspects dans la vie de ce pays soulevé contre lui, et bien des mystères qu’il ne pourrait jamais élucider. Cornélius se dirigeait d’un air morne vers le fleuve. Il quittait ses nouveaux amis ; il venait de subir encore un désappointement, et sa résignation boudeuse semblait ratatiner davantage sa vieille petite figure jaune ; il descendait la colline en jetant à droite et à gauche des regards obliques, et sans renoncer un instant à son idée fixe.

« À partir de ce moment, les événements se précipitent, coulant sans interruption du cœur des hommes comme d’une source sombre, et nous y voyons Jim par les yeux de Tamb’ Itam. Ceux de la jeune femme étaient fixés sur lui aussi, mais les vies de ces deux êtres sont trop intimement confondues : il faut compter avec sa passion, sa stupeur, sa colère, et par-dessus tout avec sa terreur et son implacable amour. Chez le fidèle serviteur, tout aussi incompréhensif d’ailleurs que les autres, c’est la fidélité seule qui entre en jeu, une fidélité si parfaite et une foi si profonde dans son maître, que sa stupeur même se réduit à une acceptation attristée d’une mystérieuse défaite. Il n’a d’yeux que pour un seul être, et à travers toutes les incertitudes de son accablement, il garde son attitude de protecteur soumis et vigilant.

« Son maître revint de l’entretien avec le blanc en marchant lentement dans la rue vers la barricade. Tout le monde fut heureux de le voir de retour, car pendant le colloque, ce qui épouvantait, ce n’était pas seulement l’idée de le voir tué, mais de ce qui pourrait survenir après. Jim entra dans une maison où s’était retiré le vieux Doramin, et y resta en un long tête-à-tête avec le chef des Bugis. Ils discutèrent évidemment la ligne de conduite nécessaire, mais personne n’assistait à leur entretien. Seul Tamb’ Itam qui se tenait aussi près qu’il le pouvait de la porte, entendit son maître déclarer : – « Oui, je leur ferai savoir à