Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/344

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des arbres, de grandes ailes eussent été déployées. Des branches en surplomb, de grosses gouttes tombaient à travers le morne brouillard. À un murmure de Cornélius, Brown fit charger les fusils. – « Je vais vous donner le plaisir de vous acquitter envers ces gens-là avant de filer, tas d’estropiés que vous êtes », dit-il à sa bande. « Prenez garde de ne pas gâcher l’occasion, espèces de chiens ! » Des grognements sourds accueillirent ces paroles. Cornélius larmoyait, et s’inquiétait fort du sort de son canot.

« Cependant, Tamb’ Itam avait atteint le terme de sa course. Le brouillard l’avait un peu retardé, mais il avait ramé avec vigueur, en restant au contact de la rive sud. Peu à peu, le jour parut, comme un reflet dans un globe de verre dépoli. Les rives formaient de chaque côté du fleuve une tache noire, où l’on décelait des soupçons de piliers, et, très haut dans le ciel, des ombres de branches tordues. La brume restait très dense au ras de l’eau, mais on montait bonne garde au camp, car dès que Tamb’ Itam s’en approcha, deux silhouettes d’hommes émergèrent de la vapeur blanche, et des voix vigoureuses le hélèrent. Il répondit, et un canot vint aborder sa pirogue. Il échangea des nouvelles avec les guetteurs : tout allait bien ; le temps d’épreuve était passé. Les hommes du canot lâchèrent le bord de sa pirogue, et se perdirent immédiatement dans la brume. Tamb’ Itam poursuivit sa route, jusqu’à ce qu’il entendît des voix venir à lui sur l’eau, et vit, à travers le brouillard qui commençait à se soulever en tourbillons, la lueur de feux allumés sur une grève sablonneuse, encadrée par des fourrés et une haute futaie. Là encore, on était aux aguets, car on l’interpella. Il cria son nom, en lançant de deux coups de pagaie, sa pirogue sur la rive. C’était un camp important. Les hommes allongés par petits groupes échangeaient des murmures assourdis de causerie matinale. De minces filets de fumée ondulaient lentement sous le brouillard blanc. On avait bâti, pour les chefs, de petits abris élevés au-dessus du sol. Les fusils étaient disposés en faisceaux et fichés un à un dans le sable ; de grandes lances se dressaient près des feux.

« Avec un air d’importance, Tamb’ Itam demanda à être conduit près de Dain Waris. Il trouva l’ami de son seigneur