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Page:Conrad - Sous les yeux d'Occident.djvu/103

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m’écoutait-il avec patience. J’étais d’ailleurs inspiré moi-même par le génie ferme et subtil d’Éléonore… de Madame de S., vous savez, et sous la clarté de la lune pleine, je pouvais observer la figure du jeune homme. Et l’on ne me trompe pas !…

Mlle Haldin, les yeux baissés, semblait hésiter.

« Eh bien, je réfléchirai à ce que vous m’avez dit, Pierre Ivanovitch. Et je tâcherai d’aller là-bas, dès que je pourrai, sans crainte, quitter ma mère pendant une ou deux heures. »

Malgré la froideur avec laquelle elle prononça ces paroles, je restai stupéfait de cette concession. Le gros homme saisit avec une telle ferveur la main de la jeune fille, que je crus qu’il allait la porter à ses lèvres ou à sa poitrine. Mais il se contenta d’en retenir les doigts dans sa grosse patte, en les élevant et en les abaissant tour à tour pendant qu’il lâchait sa dernière bordée de paroles.

« Très bien, très bien ! Je n’ai pas encore toute votre confiance, Nathalia Victorovna, mais cela viendra. Chaque chose a son temps ! La sœur de Victor Haldin ne peut pas rester dans l’ombre… C’est chose impossible, tout simplement… Et aucune femme ne doit rester assise sur le seuil… Les fleurs, les larmes, les applaudissements appartiennent au passé : c’est une conception moyenâgeuse. L’arène, c’est dans l’arène que les femmes doivent descendre, de nos jours !… »

Il laissa tomber la main de la jeune fille, avec un geste de grâce, comme pour lui en faire présent et il restait immobile, la tête inclinée en une attitude déférente, devant la féminité qu’elle représentait.

« L’arène ! il faut descendre dans l’arène, Nathalia ! » Il fit un pas en arrière, inclina son énorme masse et sortit rapidement. La porte battit derrière lui. Mais aussitôt on entendit dans l’antichambre sonner bruyamment sa voix, adressée à la servante, qui lui montrait le chemin. Je ne puis dire s’il l’exhortait aussi à descendre dans l’arène. Ses paroles prenaient un ton de prédication qu’interrompit brusquement le bruit léger de la porte donnant sur la rue.


III

Nous nous regardâmes pendant un instant.

« Connaissez-vous cet homme ? »

Mlle Haldin, en s’avançant vers moi, me posait cette question, en anglais.