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Page:Conrad - Sous les yeux d'Occident.djvu/288

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« Un désir de justice envers cet individu, envers le pauvre paysan trop calomnié, Ziemianitch, me pousse à déclarer ici que les conclusions de cette lettre accusent faussement un homme du peuple…, une brillante âme russe. Ziemianitch n’a rien eu à voir avec l’arrestation de Victor Haldin. »

Razumov appuya lourdement sur le nom, puis attendit que s’apaisât le murmure léger et douloureux qui avait accueilli ses paroles.

« Victor Victorovitch Haldin », reprit-il, « guidé sans aucun doute par l’imprudence d’un noble esprit, s’est réfugié chez un étudiant dont il ne connaissait des opinions, que ce que suggéraient ses propres illusions à son cœur généreux. C’était une marque de confiance assez déraisonnable. Mais je ne suis pas ici pour apprécier les actes de Victor Haldin. Faut-il vous dire les sentiments de cet étudiant que l’on venait chercher dans sa solitude obscure et que mettait en péril une complicité imposée ? Faut-il vous dire ce qu’il fit ? C’est une histoire peu compliquée. Il finit par aller chez le Général T… en personne, et lui dit : « j’ai chez moi, enfermé dans ma chambre, l’homme qui a tué M. de P…, Victor Haldin, un étudiant comme moi. »

Un murmure violent s’éleva ; Razumov haussa la voix pour le dominer.

« Remarquez que cet homme était mû par un certain idéal. Mais je ne suis pas venu ici pour expliquer les raisons de son geste. »

« Non ; mais il faut que vous nous expliquiez comment vous avez pu savoir tout cela ? » fit une voix grave, sortie de la foule.

« L’ignoble lâche ! » Ce cri était empreint d’une indignation vibrante. « Le nom ? » appelèrent d’autres voix.

« Pourquoi crier ainsi ? » fit dédaigneusement Razumov, au milieu du profond silence tombé devant le geste de sa main levée. « N’avez-vous pas compris que cet homme-là, c’est moi ? »

Lespara s’écarta brusquement et grimpa sur son siège.

En voyant le premier élan de tous ces gens qui se ruaient sur lui, Razumov s’attendait à être mis en pièces, mais ils reculèrent sans le toucher, s’agitant seulement à grand bruit. Razumov était étourdi ; la tête le faisait horriblement souffrir. Parmi le brouhaha confus, il distingua plusieurs fois le nom de Pierre Ivanovitch, le mot de « jugement », et cette phrase : « Mais c’est une confession ! », lancée par un des assistants du haut de sa voix. Au milieu du tumulte, un jeune homme, plus jeune que lui-même, s’approcha, les yeux étincelants :

« Je vous prierai », fit-il avec une politesse fielleuse, « d’avoir la bonté