un énorme samovar. Par l’embrasure d’une porte, Razumov vit saillir un ventre colossal dont il reconnut la protubérance. À quelques pas de lui, Lespara descendait à la hâte de son haut tabouret.
L’arrivée du visiteur tardif produisit une grosse sensation. Lespara passe très rapidement, dans son récit, sur les événements de la soirée. Après quelques mots de bienvenue auxquels Razumov ne fit pas attention, Lespara (qui affectait de ne pas s’apercevoir de l’état de son hôte et de son extraordinaire façon de se présenter) lui glissa quelques mots sur la nécessité d’écrire un article. Il semblait inquiet, et Razumov gardait un air absent. « J’ai écrit déjà tout ce que je pourrai écrire », dit-il enfin, avec un rire bref.
L’assemblée tout entière tenait les yeux rivés sur le nouveau venu, tout raide contre le mur, les vêtements ruisselants et le visage mortellement pâle.
Razumov poussa doucement Lespara de côté, comme pour permettre à chacun des assistants de le voir, de la tête aux pieds. À ce moment, le brouhaha des conversations s’était complètement apaisé, même dans la plus éloignée des trois pièces. Dans le jour de la porte que regardait Razumov, des hommes et des femmes se pressaient, le cou tendu, dans l’attente manifeste d’un événement extraordinaire.
Une voix s’éleva de ce groupe, insolente et criarde :
« Je connais cet individu et sa ridicule vanité. »
« Quel individu ? » demanda Razumov en relevant la tête et en interrogeant du regard tous les yeux fixés sur lui. Un silence de stupeur plana un instant :
« Si c’est moi… »
Il s’arrêta, cherchant le moyen de la confession nécessaire ; il en trouva tout à coup la voie, inévitablement suggérée par les souvenirs de la soirée fatale.
« Je suis venu ici », commença-t-il, d’une voix claire, « pour parler d’un individu appelé Ziemianitch. Sophia Antonovna m’a dit son intention de faire connaître partout une lettre qu’elle a reçue de Petersbourg… »
« Sophie Antonovna nous a quittés ce matin, de bonne heure », interrompit Lespara. « Tout est parfaitement correct. Nos camarades ont tout appris… »
« Très bien », interrompit Razumov, avec une certaine impatience, car son cœur battait très fort. Puis, maîtrisant sa voix au point de mettre une nuance d’ironie dans ses paroles claires et nettes :