Page:Conscience - Le Lion de Flandre, 1871.djvu/555

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père lui donnera au moins un instant de bonheur.

Il salua de la main les chevaliers présents et s’élança au galop dans la direction de l’abbaye de Groningue. Guy donna ordre à Jean Borlunt d’envoyer ses hommes sur le champ de bataille pour retirer les blessés d’entre les cadavres et rapporter au camp les chevaliers morts.

En arrivant sur le lieu de la lutte, les Gantois s’arrêtèrent tout à coup, comme pétrifiés par l’affreux spectacle qui frappait leurs yeux. Maintenant que l’ardent emportement du combat s’était dissipé, leur regard se promenait avec horreur sur cette vaste plaine baignée de sang, où gisaient pêle-mêle les cadavres, les chevaux abattus, les étendards abandonnés et les membres épars de plusieurs milliers d’hommes. Dans le lointain, on voyait çà et là un mourant élever le bras en signe de prière et de supplication. Un bruit sourd et lugubre, cent fois plus sinistre que le plus sinistre silence, planait sur ces corps amoncelés. C’était la voix des blessés qui disaient :

— À boire, à boire… pour l’amour de Dieu, à boire !

Le soleil incendiait de ses ardents rayons leurs muscles dénudés et les soumettait aux tortures d’une soif insupportable ; leurs lèvres se collaient l’une à l’autre, et c’était avec peine qu’ils pouvaient jeter un cri de détresse et d’agonie. De noirs corbeaux obscurcissaient l’air comme une nuée d’orage ; les