Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/322

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tendit la main à un voyageur qui s’élança sur la chaussée, portant une valise de cuir.

Le conducteur, toujours muet, reploya le marchepied, referma la portière, remonta sur le siège, et donna par un sifflement le signal du départ. Les chevaux reprirent leur course, et la lourde voiture poursuivit son tranquille et monotone voyage.

Cependant le voyageur était entré dans l’auberge et s’était assis à une table devant un verre de bière. C’était un homme de haute taille et paraissant avoir environ cinquante ans. On eût même pu lui donner la soixantaine, si sa tournure toute martiale, la vivacité de son regard et le sourire qui plissait ses lèvres n’eussent annoncé qu’en lui le cœur était plus jeune que le visage. Toutefois ses cheveux étaient gris ; des rides nombreuses sillonnaient son front et ses joues, et l’ensemble de ses traits portait cette indéfinissable expression de lassitude, que le travail et le chagrin impriment sur la physionomie comme le signe d’une vieillesse anticipée. Et pourtant sa poitrine palpitait avec force, sa tête était ferme et droite, et dans ses yeux brillait l’étincelle d’une puissante virilité.

On l’eût pris, à voir son costume, pour un bourgeois à son aise, et ce costume n’eût pas attiré l’attention, si sa redingote n’eût été boutonnée jusqu’au menton, particularité qui, jointe à la grosse pipe d’écume suspendue sur sa poitrine, semblait indiquer un militaire ou un Allemand.

Après avoir servi le voyageur, les gens de la maison s’étaient remis à leurs travaux ordinaires sans s’occuper