Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/361

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débris d’une armée décimée par le glaive du temps ! Une vingtaine de vieillards suivent les enfants de Nélis. Étrange spectacle ! tous sont gris ou chauves ; beaucoup d’entre eux sont profondément courbés ; la plupart s’appuient pesamment sur un bâton, deux marchent à l’aide de béquilles, un seul est aveugle et sourd ; mais tous sont si affaissés, si brisés par les années et le travail, qu’on croirait voir un troupeau de victimes chassées vers la tombe par le bras de la mort !

Laurent Stevens, dont les mains touchent presque la terre, ouvre la marche ; le Baes aveugle de la Charrue la ferme, conduit par le grand-père du meunier.

Seuls, ces vieillards ont vécu au temps où le long Jean était le coq du village et où chacun rendait hommage à son courage et s’inclinait devant son juvénile orgueil.

Après eux venaient les habitants du village, hommes et femmes, invités aux noces dans la cour du château.

Le cortège entra dans l’église, et l’on entendit du dehors l’orgue entonner une mélodie solennelle.

Le jeune poète tira à part son compagnon sur le cimetière. Il se pencha à terre, se détourna, puis présenta à l’autre sa main fermée d’où s’échappaient les extrémités égales de deux brins d’herbe.

— Déjà ! tu es bien pressé ! dit son camarade.

— Allons, allons, ce sujet m’enflamme, et je veux savoir si j’ai le droit ou non de le traiter.

L’autre tira l’un des brins. Le jeune poète laissa tomber le second avec un douloureux soupir.

— J’ai perdu ! dit-il.

Et voilà comment il s’est fait, lecteur bien-aimé, que