Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/68

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s’assombrirent : une larme vint briller dans ses yeux, et il dit d’un accent très-ému :

— Lénora, quoi qu’il arrive dans notre vie, tu aimeras toujours ton père ainsi, n’est-ce pas ?

— Oh ! toujours, toujours ! s’écria la jeune fille.

— Lénora, mon enfant, reprit le père en soupirant, ta douce affection est ma récompense et ma vie ici-bas. N’enlève jamais à mon âme son unique consolation…

Le ton triste de sa voix émut tellement la jeune fille, qu’elle lui prit les mains sans prononcer un mot, et le front dans le sein de son père elle se mit à pleurer silencieusement.

Ils demeurèrent longtemps ainsi, immobiles, absorbés par une vive émotion, qui n’était ni de la tristesse ni de la joie, mais qui semblait emprunter sa profondeur au mélange de ces deux sentiments opposés.

L’expression du visage du père changea la première : sa physionomie devint sévère ; il secoua la tête d’un air de doute et parut se faire un reproche à lui-même. En effet, les singulières paroles qui avaient fait couler les larmes de sa fille avaient surgi de son âme à la pensée qu’une autre personne allait partager avec lui l’affection de Lénora et la séparer de lui peut-être pour toujours.

Il était prêt à tout sacrifice, fût-il infiniment plus grand, pourvu que ce sacrifice contribuât au bonheur de son enfant, et cependant la seule idée de la séparation avait fait saigner son cœur. Maintenant il s’en veut de ce semblant d’égoïsme ; il chasse avec effort de son esprit les pensées tristes. Il relève sa fille, et dit, en lui prodiguant ses caresses :