Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/71

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pour toi, et cet homme t’accuse d’ingratitude et de mauvaise foi ! Et toi, tu erres dans les solitudes glacées de l’Amérique, en proie à la souffrance et à la maladie ; tu parcours, au prix d’un misérable salaire, des déserts où, pendant des mois entiers, nul regard humain ne s’arrête sur toi. Fils de noble race comme moi, ta t’es fait l’esclave des Anglais, et pour eux tu amasses ces fourrures destinées au luxe des riches. Oh, j’endure un cruel martyre pour l’amour de toi, mais Dieu m’est témoin que mon affection pour toi est demeurée entière. Puisse ton âme, ô mon frère, ressentir dans l’isolement où tu souffres, cette aspiration de mon âme, et puisses-tu y trouver un adoucissement à ta misère !

Le gentilhomme, absorbé quelque temps dans sa douloureuse méditation, secoua enfin son rêve et redevint attentif à son travail. Il disposa tous les objets d’argenterie, les uns à côté des autres, sur la table et dit en réfléchissant :

— Six fourchettes, huit cuillers ! nous serons quatre à table, Il s’agira de se tenir sur ses gardes, sinon on s’apercevrait facilement qu’il manque quelque chose… Mais cela ira cependant : je donnerai à la fermière des instructions précises ; c’est une femme entendue…

En prononçant ces derniers mots, il renferma le tout dans l’armoire ; après quoi il prit la lampe, quitta la salle à pas lents et circonspects, et descendit par un escalier de pierre dans une vaste salle voûtée, où il ouvrit une petite porte, et se courba dans un caveau surbaissé. À la lueur incertaine de la lampe il tâtonna dans un bac parmi un grand nombre de bouteilles vides, et trouva