Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/74

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de mon malheur sont la générosité, la pitié, l’amour… Oui, oui, fixez sur moi vos yeux étincelants, contemplez-moi dans l’abîme de misère où je suis tombé ! Du fond de mon humiliation, je lèverai hardiment le front vers vous, et votre regard ne fera pas baisser le mien. Ici, en votre présence, je suis seul avec mon âme, seul avec ma conscience ; ici, nulle honte ne peut atteindre celui qui comme gentilhomme, comme chrétien, comme frère et comme père, souffre le martyre parce qu’il a su faire don devoir.

En proie à une inexprimable exaltation, monsieur de Vlierbecke se promenait à grands pas et tendait les mains vers les images de ses aïeux comme pour les invoquer. Son attitude était pleine de majesté : le front levé, il semblait commander en maître ; ses yeux noirs étincelaient dans l’ombre ; son beau visage rayonnait de dignité ; tout en lui, paroles, gestes, physionomie, tout était singulièrement noble et imposant.

Soudain il s’arrêta, porta la main à son front et reprit avec un sourire amer :

Pauvre insensé ! ton âme cherche la délivrance ; elle secoue les lourdes entraves de l’humiliation et rêve…

Il joignit les mains et ajouta en levant les yeux au ciel :

Oui, c’est une illusion ! et cependant grâces vous soient rendues, ô Dieu miséricordieux, de ce que vous faites jaillir dans mon cœur la source du courage et de la patience !… Assez ! la réalité reparaît à mes yeux et grimace comme un spectre au fond des ténèbres… et pourtant je suis fort et je raille le fantôme sinistre de la ruine et de la misère…