Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/73

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lui-même. Bientôt de violentes contractions nerveuses se dessinèrent sur son visage ; le rouge de la honte et la pâleur de l’oppression se succédaient sur ses joues ; enfin, comme s’il cédait à un mouvement de colère, il coupa vivement le fil de soie, le rejeta sur la table, se leva brusquement et, la main étendue vers les portraits, il s’écria d’une voix difficilement contenue :

— Oui, regardez-moi… regardez-moi, vous dont le noble gang coule dans mes veines ! Toi, vaillant capitaine qui à côté d’Egmont donnas ta vie pour ton pays à Saint-Quentin ; toi, homme d’État qui, après la bataille de Pavie, rendis, comme ambassadeur, de si éminents services au grand empereur Charles ; toi, bienfaiteur de l’humanité, qui dotas tant d’églises et d’hospices ; toi, prélat qui, comme prêtre et comme savant, as si courageusement défendu ta foi et ton Dieu… regardez-moi ! non pas seulement de cette toile inanimée, mais du sein du Tout-Puissant ! Celui que vous voyez occupé à raccommoder ses bottes et qui consacre ses veilles à dissimuler les traces de sa misère, celui-là est votre descendant, votre fils ! Si le regard des hommes le torture, devant vous du moins il n’a pas honte de son abaissement. Ô mes ancêtres, vous avez combattu, avec l’épée et avec la parole, les ennemis de la patrie ! Moi, je lutte contre les railleries et la honte imméritée, sans espoir de triomphe ni de gloire ; j’endure d’indicibles souffrances, je sens mon âme s’affaisser sons leur fardeau, et le monde ne me réserve que blâme et mépris. Et cependant je n’ai pas souillé votre écusson ; ce que j’ai fait est grand et vertueux aux yeux de Dieu. Les sources